de physicus » 15 Jan 2023, 08:06
Bonjour,
En 90-91 j'étais en maîtrise de physique ( master 1), et le gouvernement de l'époque pour inciter les étudiants à passer le CAPES avait donné une bourse d'environ 10 000 FRF (soit 1500 euros) pour simplement s'engager à présenter le concours: un bel effet d'aubaine pour certains de mes camarades de promo qui ont empoché la tune, fait les gentils étudiants studieux certains mercredi de prépa capes puis ont rendu copie blanche le jour J.
Nous n'avions pas envisagé d'être enseignant, car on nous répétait dans les média qu'on manquait de docteurs et d'ingénieurs en France, et donc nous visions ces métiers: nous fûmes plusieurs à être ainsi admis sur titre dans diverses écoles d'ingénieur ( moi et un collègue à Supélec à Gif sur Yvette à coté de Saclay) ou intégrer des DEA (Master 2) pointus.
Après avoir arrêté rapidement Supélec qui ne me plaisait pas du tout, j'ai également démarré mon doctorat en étant allocataire de recherche et moniteur ( = payé par l'État)
Mais les postes n'ont pas suivi dans les années suivantes, et quand nous arrivâmes sur le marché du travail dans la deuxième moitié des années 90, entre la désindustrialisation qui privait les ingénieurs de débouchés et la diminution des moyens des universités qui limitèrent les débouchées pour les jeunes docteurs, nombreux furent ceux et celles qui présentèrent le capes: c'est ce pic énorme des années 90.
Lors des concours de recrutement de maître de conférence, il n'était pas rare d'avoir un ratio 15 candidats par poste, voir même 20 pour 1 dans certaines sections CNU (la chimie de mémoire ). De nombreux docteurs quittèrent la France pour tenter leur chance comme post doctorants ailleurs. Des gens qui faisaient carrière au même endroit depuis 30 ans nous expliquaient doctement qu'il fallait être mobile thématiquement et géographiquement, c’était juste insupportable à entendre ...
En parallèle, il y eu un fort essor des filières post bac, de nombreux IUT ouvrirent ainsi que des CPGE (en Moselle, mon département d'origine, l'Université de Metz créait les campus du Technopole, de Bridoux et les IUT à Thionville et St Avold et plusieurs lycées ouvrirent des classes préparatoires.
Du coup, les premiers cycles universitaires classiques tels les DEUG (L1 et L2) se dépeuplèrent dès le début 2000. En parallèle, de nouveaux métiers apparurent et nécessitaient une formation initiale scientifique moins exigeante en sciences (finance, immobilier, informatique) mais bien plus rémunératrice. C'est ce qui me permit début 2000 de retrouver un emploi d'analyste programmeur à Luxembourg. Mon salaire net d’impôt de 2003 était identique à mon salaire d'agrégé échelon 9 net d’impôt actuel ...
La désaffection des premiers cycles scientifiques fut attribuée à l'époque à un désamour des jeunes pour les sciences: c'était faux, c'est juste qu'ils avaient bien vu ce qui c'était passé pour leur aînés des années 90 qui se retrouvaient sur le tapis à bac + beaucoup à occuper des postes bac+2 ...
Et ainsi fut créé le programme de 2000 qui commença a déstructurer l'enseignement scientifique jusqu'à la réforme de 2019 où on recommence à faire de la vraie physique quantitative en lycée.
Les années 2000 jusqu'en 2010 permettaient de faire fortune en vendant des parpaings (immobilier), la finance permettant des profits rapides mais spéculatifs grâce à l'argent facile des taux très bas. La France continuant sa désindustrialisation, il n'y eu pas de déboucher pour les ingénieurs et scientifiques. Les écoles d'ingénieurs ne font pas le plein d'étudiants.
Quand à notre métier, plus personne ne souhaite l'exercer. Les quelques avantages que nous avions ( liberté d'organisation , travail à la maison) ne tiennent plus face aux emplois privés recrutant les bac +5 : RTT, télétravail, tickets restaurants, fourniture du matériel informatique. Et du coup, on se retrouve dans la situation désastreuse actuelle de désaffection des concours de recrutement.