C'est gentil
.
Elle était écrite depuis longtemps.
Pour ne pas rester sur cette (belle et avantageuse) impression de héros que je pourrais donner ou qu'au moins tu me prêtes (donner/prêter ouah, le keum comment il s'la joue littéraire
), j'ai une autre anecdote, écrite depuis assez longtemps.
Après, il ne m'en reste plus qu'une
.
EMMA
Emma pleure et ne prend même plus le cours ; Pauline ne pourra pas le lui passer car elle non plus ne le prend plus : elle tente, en vain, de consoler Emma, un de ses bras autour des épaules d’Emma et l’autre sur la table.
Elles sont au deuxième rang, à ma droite, vers les fenêtres.
Dans ce cours de MPI utilisant des notions d’électricité, je me suis retrouvé à digresser sur la sécurité, sur les normes, sur les différentes habilitations qui ont pour objet unique de déterminer qui est pénalement coupable en cas d’accident électrique et sur les effets physiologiques de l’électricité sur le corps humain selon les valeurs de la tension électrique et de la fréquence de cette dernière auxquelles ce corps humain peut être soumis.
Je n’ai pas vu le début : je pérorais.
Je n’ai pas vu le visage d’Emma sans doute blanchir puis sans doute se glacer; je n’ai pas vu les premières larmes couler.
Mais maintenant, je vois.
Mes évocations théâtrales et forcément drôles (connard) des mouvements des corps électrisés ou électrocutés tiennent les élèves de la classe comme une nasse : elles et ils me regardent et parlent peu. Très peu d’entre elles et eux se sont rendu(e)s compte qu’Emma pleure.
Délicatesse du connard : je veux garder à Emma la possibilité de ne pas avoir à s’expliquer et, pour cela, il me faut ne pas interrompre le cours ni en changer l’objet. Je jette un coup d’œil à la montre ; la pause d’un quart d’heure n’est plus très éloignée. Je continue le cours sur la sécurité et sur les effets physiologiques de l’électricité sur le corps humain selon les valeurs de la tension électrique et de sa fréquence auxquelles ce corps humain peut être soumis.
Mais je théâtralise moins. Je sais déjà que je n’oublierai jamais ce cours et que je n’entendrai pas de sitôt des secondes s’égrainer comme cela, ces salopes, une par une mais vraiment une par une, et sans se presser, graine de temps par graine de temps, les salopes, se faisant la politesse pour ne pas se presser, ne pas s’écraser les unes sur les autres, salopes de secondes.
Et après la pause, j’aurais à continuer le cours avec elles et eux ; et Emma et Pauline, donc.
Ça sonne.
Emma pleure toujours et Pauline la tient toujours : on ne peut pas dire qu’elle la console ; elle semble seulement réussir à l’empêcher de s’effondrer.
La salle se vide ; je m’approche d’Emma et de Pauline et je dis à Emma : « Souhaitez-vous que je change complètement le sujet du cours à la rentrée de la pause ? ».
Je n’ai rien trouvé d’autre à dire : Pauline me regarde avec la conviction tranquille qu’un connard ne pouvait effectivement pas faire mieux que ça et que, finalement, le fait de ne pas avoir demandé à Emma ce qui se passait est une heureuse et inattendue attitude…
Emma répond : « Non, ça ira… ».
Je lui dis : « Non mais vraiment, ça m’est facile ! C’est la pause : je peux facilement reprendre autre chose… ».
Emma répond : « Non, ça ira… ».
Au retour de la pause Emma ne pleure plus.
Aujourd’hui, je ne me souviens absolument plus de la manière dont j’ai repris le cours.
Je n’en saurai jamais plus, ni par Pauline, ni par Emma que je croiserai dans les couloirs encore pendant les deux autres années qu’elle passera au lycée jusqu’à son baccalauréat qu’elle aura avec la mention très bien, Emma qui m’informera oralement le jour des résultats qu’elle m’attribue une partie de cette belle mention pour les services rendus lors des dernières séances de révisions qu’elle aura toutes suivies, ce que je contesterai avec la plus vive énergie, soulignant qu'une petite dizaine d'heures de révisions n'était rien par rapport aux cent quarante heures de cours suivies avec sa professeure.
C’est tout. Je sais que je ne saurai jamais.